jeudi 22 février 2018

Interview Alexandre Adler pour FM MAG, réalisée par Jean-Michel Dardour, Président Délégué de l’Université Maçonnique.


JMD : Lors de la dernière session de l’Université maçonnique, Franck Ferrand, qui planchait sur l’histoire de l’Angleterre dans le contexte de la création des premières loges maçonniques, a évoqué la personnalité de Thomas More comme l’un des hommes les plus importants du XVIè siècle. Vous êtes notre prochain invité le 24 mars pour évoquer sa vie et son œuvre, au carrefour de la religion et de la Franc-Maçonnerie.
Juriste, historien, philosophe, humaniste, théologien et homme politique, le créateur de «  l’utopie » fut il le génie de son temps ?

AA : Grâce à Thomas More on peut tirer le fil d’une pelote qui reconstitue la véritable histoire de la Renaissance et de la Réforme !
Thomas More a été exécuté par Henri VIII après qu’il en eût été l’un des conseillers les plus écoutés et d’une certaine manière le meurtre de Thomas More rappelle celui de Thomas Beckett dans sa cathédrale, lui aussi canonisé par l’Eglise catholique.  Le catholicisme anglais a tenté de se régénérer à la suite de ce meurtre comme une religion de la liberté et de la tolérance. Et pourtant on ne peut pas faire de Thomas More un parangon du catholicisme. En revanche sa volonté de rester fidèle à l’Eglise en la critiquant de l’intérieur est directement liée à la pensée d’Erasme dont il était l’ami. Dans Thomas More nous voyons apparaitre cette 3e voie qui est manifestement une des origines les plus pures de la Franc Maçonnerie !
La 3e voie ce n’est ni le concile de Trente , ni l’intolérance protestante la plus dure telle qu’on la voit avec Calvin contre Michel Servet, ou avec Luther a la fin de sa vie quand il prend le parti des princes contre les paysans.

JMD : Thomas More serait l’un des précurseurs de la Franc Maçonnerie ?
AA :La Franc Maçonnerie  s’en est inspirée, elle est liée au rejet des sectarismes meurtriers du second XVIe siècle ; ni Réforme ni Contre Réforme, Renaissance !
C’est le point commun à Erasme et à Thomas More, ce qu’on a appelé aussi l’Erasmisme espagnol, lié à Cervantès qui a constitué une résistance à l’intolérance espagnole de l’Inquisition.
Ce parti des modérés à l’échelle de toute l’Europe est à l’origine des idées qui vont voir naitre la Franc Maçonnerie  spéculative.

JM : Thomas More est à la fois considéré comme un saint par l’église catholique et aussi comme un précurseur du socialisme puisque son nom fut gravé sur un obélisque au pied du Kremlin à Moscou entre 1918 et 2013 !

AA : Dans sa grande époque, l’union soviétique a voulu réhabiliter tous les défenseurs de la liberté de penser. Tout le XVIIIè et XIXè siècle russe a été épris d’émancipation, ce qui explique une certaine vigueur des loges maçonniques à d’avant le XXe siècle dans ce pays.
JM Cela s’explique peut être aussi par le fait que « l’utopie » ouvrage majeur de Thomas More, présente une société qui repose sur la propriété collective des moyens de production, sans échanges commerciaux et qui a inspiré tous les nouveaux mouvements sociaux.
Les utopiens de Thomas More étaient très respectueux de la pluralité religieuse et reconnaissaient un Etre Supreme commun à tous, une sorte d’ancêtre du Grand Architecte De L’Univers !

AA Thomas More et la génération Erasmienne, juste avant Newton, défendaient les sciences et la liberté d’investigation. Ils sont déjà les contemporains de Copernic, de l’astronome Tycho Brahé à Prague et de tout l’entourage de l’empereur Rodolphe de Habsbourg qui a voulu lui aussi tenter cette 3 e voie. Ce fut le chemin de croissance difficile, heurté mais possible de l’humanité européenne. C’est là qu’on trouve le croisement entre l’humanisme et la Franc Maçonnerie spéculative qui a déjà des prémices dans la Hollande réformée ou s’opposent déjà au synode de Dordrecht des partisans de la liberté de conscience d’une part et les orangistes les plus durs , ceux qui supportent le calvinisme le plus dur.. C’est entre ces 2 blocs de fanatisme et de fermeture qu’est née avec des solutions un peu différentes cet esprit de liberté que la FM a petit à petit réunifiée, avec le célèbre adage « rassembler ce qui est épars » et qui va dans ce sens.

JMD : Aujourd’hui nous fêtons les 300 ans de la naissance de la Franc Maçonnerie , 1717-2017, comment voyez vous cette vieille dame aujourd’hui ? Pensez vous qu’elle ait encore un rôle à jouer au XXIè Siècle ?

AA : Je n’accepte absolument pas la date de 1717, qui es tune date conventionnelle, créée de toutes pièces par la Franc Maçonnerie anglaise, mais qui a permis de marquer un début et donc de dater une naissance de ce grand évènement qu’est le début de la Franc Maçonnerie qui avait déjà au moins 150 ans à sa naissance !
Je suis profondément attaché au Rite Ecossais Ancien et Accepté, je crois à une naissance en Ecosse dans un point fort éloigné de l’Europe continentale quelque part vers la loge Heredom de Kilwinning, un esprit de résistance qui lui-même appartient à toute l’histoire des mal pensants du Moyen-Age et auxquels nous devons d’être ce que nous sommes. Je crois aussi à une certaine filiation templière, à ceux qui se sont comportés en véritables chevaliers lorsqu’ils ont été amenés à défendre ce qu’ils considéraient comme une terre sainte. Les vrais templiers , chacun sait aujourd’hui qu’ils n’étaient pas coupables de ce dont on les accusait et qu’ils représentaient déjà une certaine dissidence dans la chrétienté dont les suites portent jusqu’à aujourd’hui.

La grande force de la Franc Maçonnerie , c’est d’avoir agrégé cet esprit chevaleresque et d’avoir considéré qu’il était non pas fermé mais ouvert à tous ceux qui veulent bien le partager, un idéal de fraternité qui a requis des siècles et des siècles de maturation.
Toutes ces choses ont été pensées avec l’intensité du courage et l’esprit de sacrifice , celui de Thomas More notamment.

JMD : Pour terminer cet entretien je voudrais vous demander quelle est votre définition de la fraternité ?
AA : C’est le sentiment que nous sommes tous liés les uns aux autres, à une condition humaine qui nous est commune, et que toutes les différences, de sexe, d’âge, de richesse, de culture, ne sont pas grand-chose à côté du genre humain.




Interview Franck Ferrand pour FM MAG



Interview Franck Ferrand pour FM MAG, réalisée par Jean-Michel Dardour, Président Délégué de l’Université Maçonnique

JMD : FF, vous êtes écrivain, journaliste spécialisé en histoire et depuis 2003, le  « Monsieur Histoire » attitré d’Europe 1, vous totalisez 15 ans d’antenne avec des audiences excellentes tous les jours entre 14 h et 15H dans un univers radio extrêmement concurrentiel …

FF : Plutôt que journaliste, je préfère me qualifier d’animateur d’émissions d’histoire, je ne suis pas journaliste, je ne commente pas l’actualité !

JMD : dans une émission quotidienne, comment faites-vous pour connaitre à fond tous les sujets tous les jours ?

FF : Précisément on ne les connait pas à fond ! Je suis un équilibriste qui a une base de connaissances, des repères solides sur toutes les périodes de l’histoire et j’ai le sentiment d’être « chez moi dans la période ». Tous les détails me sont donnés par mon équipe qui travaille avec moi sur chaque émission. Le plus drôle c’est lorsque je croise des gens dans la rue, 3 mois après une émission et qui reviennent end détail sur des sujets qu ‘ils connaissent bien et que j’ai évidemment totalement oubliés !

JMD : Vous êtes aussi très engagé sur le patrimoine français, vous avez cet été suivi le Tour de France comme consultant de France Télévision, et cela vous a permis de parler de la géographie de notre beau pays et de son patrimoine…

FF C’est un exercice difficile et exaltant ! 117 heures de direct en 3 semaines, 6000 km parcourus en voiture, et à la clé des centaines d’interventions pour mettre en valeur le paysage, la géographie et même la géologie, les habitudes locales , les traditions et bien sûr l’histoire dont le patrimoine est l’un des aspects, mais pas le seul. Une partie importante de ceux qui regardent le Tour De France le font essentiellement pour les paysages !

JMD : Aujourd’hui nous allons évoquer la Franc-Maçonnerie. C’est la troisième fois que nous nous rencontrons à ce sujet. La première fois nous vous avions invité à enregistrer votre émission « Au cœur de l’histoire » en direct du siège de la Grande Loge de France, Rue Puteaux, il y a 4 ans et vous aviez échangé sur les grandes heures de la Franc-Maçonnerie et de la Grande Loge De France avec le Grand Maitre Marc Henry.
Nous avions évoqué quelques grandes personnalités de la Grande Loge De France comme Pierre Brossolette, Félix Eboué, Gaston Monnerville, Jules Vallès, Pierre Simon, le symbolisme maçonnique, les relations entre les religions et la Franc-Maçonnerie.

Puis nous nous sommes retrouvés en 2016, dans le cadre de l’Université maçonnique, vous étiez intervenu en duo avec Laurent Kupferman sur les fondements de la République française et les francs-maçons qui ont œuvré sous la IIIe République. Il faut préciser l’originalité des sessions de l’Université maçonnique qui fait intervenir un conférencier non-maçon ( que nous appelons un « profane » ) et ensuite un autre , franc-maçon qui donne un coup d’éclairage maçonnique sur le sujet.
Avez-vous gardé un bon souvenir de ces deux visites ?

FF : C’étaient 2 configurations très différentes ! La première nécessitait de ma part de piloter l’émission totalement, dans laquelle je devais tout contrôler, mais j’ai le souvenir d’une émission très réussie. Dans ces conditions, on profite moins de l’instant. En revanche ma conférence avec Laurent Kupferman était beaucoup plus une réflexion et un échange sur un épisode très important de la vie maçonnique, l’apogée de la IIIe République. Cette situation, au cœur même d’un temple maçonnique, entouré de Francs-Maçons qui connaissaient le sujet mieux que moi fut passionnant mais je pense avoir apporté un regard neuf, extérieur, c’est un beau souvenir que je suis ravi de récidiver !

JM : c’est ce que je vous propose de faire le 25 novembre puisque nous évoquerons avec l’historien Louis Trébuchet les débuts de la Franc-Maçonnerie obédientielle, il y a tout juste 300 ans, en balayant 3 siècles de l’histoire de l’Angleterre, du XVIè au XVIIIé, en partant d’Henri VIII avec la séparation de l’Eglise d’Angleterre et de celle de Rome pour créer l’anglicanisme, puis le long règne d’Elisabeth 1ere ( 44 ans entre 1558 et 1603 ! )

FF avec Marie la sanglante entre les 2 !

JMD une histoire marquée par la lutte avec la dynastie des Stuarts qui a duré jusqu’en 1715, la révocation de l’Edit de Nantes qui aura une importance capitale puisqu’il conduira à l’exil de Jean-Théophile Desaguliers , futur Grand Maitre de la Grande Loge d’Angleterre , né à la Rochelle , exilé à 3 ans, puis assistant de Newton à la Royal Society.

FF : c’était une époque où les grands scientifiques étaient avant tout de grands penseurs. On ne séparait pas les disciplines.

JM Nous évoquerons certainement les 1eres loges jacobites qui sont arrivées à Saint-Germain en Laye, en même temps que les régiments militaires écossais lorsque Louis XIV a accueilli son cousin Jacques II en 1689.

JM : Quel est votre regard sur la Franc-Maçonnerie ?

FF S’il y a dans l’histoire un domaine qui m’intéresse plus que d’autres c’est celui des idées. La genèse, la diffusion, la victoire ou l’échec des idées, voilà ce qui me parait le plus intéressant, le sel et le nerf de l’histoire. Je me suis toujours particulièrement intéressé aux grands courants de pensée. La vie des philosophes, des scientifiques, des penseurs, l’histoire des religions et l’histoire des sociétés de pensée me parait fondamentale pour comprendre les différentes époques. De ce point de vue je me suis penché vraiment sur la Franc-Maçonnerie  très jeune, vers 17 ans, et contrairement à ceux qui s’y intéressent sur un aspect plus ou moins mystérieux, que l’on prête à tort ou à raison à la Franc-Maçonnerie , ce n’était pas du tout ce qui m’intéressait, moi c’était précisément le caractère spéculatif qui me plaisait.
Evidement la question s’est posée souvent d’un passage de l’extérieur à l’intérieur, de celui qui étudie de l’extérieur à celui qui connait et pratique de l’intérieur et j’ai toujours refusé car je suis convaincu de ne pas avoir l’humilité nécessaire pour me plier à la discipline du groupe.
Ce qui me motive dans mes travaux, recherches et réflexions c’est toujours ce qui est différent voire marginal. C’est étrange, je devrais faire une psychanalyse !
J’ai l’impression que je ne serais pas heureux dans un contexte collectif d’immersion dans une pensée collective.

JMD : connaissant bien l’intérieur, je comprends bien vos interrogations, mais je vous assure que tous les francs-maçons sont imbus de leur liberté de pensée et pas prêts à se plier à une quelconque coercition. Je vous donne un scoop, nous terminons toujours nos travaux par la phrase rituelle «  Que la joie soit dans les cœurs » et donc le maçon n’a pas de risque d’être malheureux !
Votre regard a -t-il changé depuis que vous avez travaillé ces sujets, rencontrés le Grand Maitre, visité nos temples ?

FF L’image s’est considérablement affinée, elle est devenue plus subtile et détaillée qu’au début, très loin de la description quasi clanique qu’en font les media…

JMD Votre spectacle one man show reprend au théatre Antoine à partir du mois de novembre, c’est le public qui tire au sort les sujets abordés.
FF Au moment ou le rideau se lève je ne sais pas de quoi je vais parler ! C’est très stimulant !
20 représentations sont prévues à Paris et 30 dates en province.




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